lundi 27 juillet 2015

Le maillot de bain, l’emballement politico-médiatique et le Délégué Interministériel à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme




La polémique (1) de ce week-end ? 

Une affaire de « maillot de bain » ou de « bikini ».


Mais encore ?

Rapidement, une jeune fille/femme vêtue  d’un maillot de bain se serait faite agressée de ce fait-même (port d’un bikini) par d’autres filles/femmes dans un parc de la ville de Reims, et ce, sur de prétendus mobiles religieux ou culturels. Selon les premières constations du parquet, il y aurait bien eu des faits de violence en réunion mais aucune des motivations précitées ne seraient en jeu, en l’espèce. Les faits et leur médiatisation sont bien résumés par David Perrotin sur BuzzFeed.com, Pascale-Robert Diard sur LeMonde.fr ou encore Dom Bochel Guégan sur LePlus/NouvelObs. Une audience devant le tribunal correctionnel est, quant à elle, déjà prévue le 24 septembre 2015.


Une instrumentalisation politique et médiatique problématique?

Nombre de médias et politiques n’ont, en effet, pas tarder à s’emparer de la dite affaire et à alimenter en trombe et toute en symphonie une lecture prématurée et toute orientée de l’altercation en question. Un petit extrait à partir des 3 articles cités ci-dessus :   

- passage à tabac par des « filles de quartiers » (Gilbert Collard)
- « néo-puritanisme » et « régression inacceptable » (François de Rugy)
- « agression inacceptable [voulant imposer] un mode de vie qui n’est pas le nôtre » (Eric Ciotti)
- « intolérable sur notre territoire » (Arnaud Binet, maire de Reims) avant de se raviser d’appeler « au calme » et au déroulement serein de la justice  
- «oui pour réaffirmer qu’on est à Reims comme ailleurs contre une morale d’oppression qui réduit nos libertés !  (SOS Racisme), l’association sera à l’origine d’un hashtag de « soutien » #JePorteMonMaillotAuParcLeo
- hashtag qui sera repris par Anne Sinclair qui, après avoir exprimé ainsi sa « solidarité » en faisant une comparaison pour le moins ambiguë avec l’histoire de la privatisation d’une plage au bénéfice du roi d’Arabie Saoudite (2),  s’est aussi ravisée a elle aussi appelé « au calme »

Inutile à ce stade de prolonger les citations… La volonté empressée d’imprimer une coloration religieuse à un fait divers dont les circonstances ne sont nullement éclaircies au moment de leur médiatisation initiale n’est pas étonnante, lorsque l’on connaît la faculté de pré-jugements  de certains acteurs politiques (3) ou encore l’on déplore la carence d’institutions de presse en termes de « fact-checking » (4). Chacun de ces acteurs peut avoir son agenda respectif : alimenter un discours idéologique pour les uns ou augmenter une audience pour les autres. Aussi rien d’étonnant à un tel emballement, de surcroît dans le contexte de crispations identitaires exponentielles.

Ce qui peut « interpeller » par contre, c’est l’appropriation d’une telle grille de lecture par une autorité administrative chargée précisément d’une politique publique de lutte contre les racismes.


L’appréhension des faits par le Délégué Interministériel à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme : une lecture qui pose davantage question

Gilles Clavreul, préfet et délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, a réagi le jour-même des faits en question par ces tweets :



Ainsi que nous lui avons fait remarquer sur ce même média, celui-ci semble vouloir suggérer une appréhension binaire de faits également reprochables et en principe (également) répréhensibles lorsqu’ il est fait preuve d’une intolérance confinant à de la violence sur personne physique pour le seul motif du port d’une tenue vestimentaire (ici, un bikini.. là, un foulard).

Suite à ces tweets et face aux réprobations qui lui ont été adressées, M. Clavreul s’est fendu d’un « communiqué Facebook » dans lequel il pratique l’art du semi-rétropédalage en déniant l’adhésion à une grille de lecture qu’il a semblé pourtant promouvoir et en renvoyant sagement l’affaire au temps judiciaire, tout ceci agrémenté d’une pointe de « mais au fond, j’ai quand même raison de relever que l’argument culturaliste à connotation religieuse garde sa pertinence ».

Aussi dans cet emballement politico-médiatique, ce n'est pas le principe même de celui-ci qui est le plus étonnant ou inquiétant, à mon sens, mais c’est la reprise d’une telle instrumentalisation à moitié assumé par certaines autorités administratives chargées en théorie de décanter, temporiser, vérifier et revérifier les faits et événements avant de diffuser une parole publique, à l'instar de M. Clavreul (5).


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(1) Du grec ancien πολεμικός, polemikós (« de guerre, guerrier »), de πόλεμος, pólemos (« combat, guerre »).

(2) « A Vallauris un roi sera en maillot sur sa plage privatisée. A Reims, pas de femme en maillot dans un parc public! #Jeportemonmaillotauparcleo ».

(3) Notamment lorsqu’il est question de jouer sur des peurs, des hantises ou encore des sentiments de rejet.

(4) Voir critiques de David Perrotin à l’égard du journal de la PQR « L’Union » formulée dans son article sur BuzzFeed.com.

(5) Sur l'approche discutable de Gilles Clavreul de l'antiracisme comme politique publique, peut être lu un portrait paru il y a quelques temps dans Libération :  http://www.liberation.fr/societe/2015/04/16/gilles-clavreul-la-valse-antiraciste_1243400.

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