Merci à Rue89 Strasbourg d'avoir bien voulu ouvrir ses tribunes pour ce billet.
Je le reproduis ci-dessous sachant que le format publié sur le site de Rue89 Strasbourg ne comprend intégralement les quelques indications fournies en bas de page. L'intitulé de l'article et les intertitres ont été rédigés par la Rédaction.
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Un citoyen strasbourgeois s’étonne de la campagne mettant en scène Donald
Trump pour inciter à voter aux élections européennes. Selim Degirmenci,
juriste, questionne sa légalité. Voici son analyse juridique.
Il y a près d’une dizaine de jours, les Strasbourgeois découvraient des
affiches, 150 au total [1], disséminées dans l’espace public sur différents
éléments du mobilier urbain, ainsi que sur les pages Facebook et Twitter de la
Ville de Strasbourg.
Il manque… la date limite
La campagne d’affichage en question, commandée par la Ville, se voulait un
vecteur de sensibilisation destiné à inciter les citoyens non-encore inscrits
sur les listes électorales à accomplir les démarches en ce sens, dans la
perspective des élections européennes du 26 mai 2019, et ce, avant la date du
31 décembre 2018 – échéance, qui, au demeurant, ne figure pas sur l’affiche en
question (!).
L’affiche, qui montre un portrait du président des Etats-Unis, Donald
Trump, en partie surplombé d’une étoile bleue, elle-même ornée du drapeau de
l’Union européenne, vise ainsi à mobiliser les électeurs potentiels autour d’un
rejet de la figure de Trump, sachant que le président américain est
régulièrement pointé du doigt pour son isolationnisme, son
« populisme » (dixit Roland Ries [2]) ou encore son protectionnisme
économique. Cette référence à Trump n’est sans doute pas étrangère à la montée
en puissance, au sein de l’Union européenne, de dirigeants ou de mouvements
politiques comparables, à l’instar de Viktor Orban en Hongrie, de Matteo
Salvini en Italie, du parti Droit et justice (PiS) en Pologne ou encore de
l’AfD en Allemagne.
Aussitôt rendue publique, l’affiche en question n’a pas manqué de faire
parler d’elle, notamment sur les réseaux sociaux ; et beaucoup l’ont trouvée
peu opportune, voire déplacée, suscitant des réactions pouvant se résumer à : «
Que vient faire Trump dans les élections européennes ? », « L’Europe
n’aurait-t-elle donc rien d’autre à dire pour mobiliser ses citoyens ? », ou
encore « Revient-il à la Ville de prendre ainsi parti ? Est-elle dans son rôle
en agissant de la sorte ? » [3].
Que dit le droit ?
C’est précisément cette dernière question qui nous intéressera dans le
cadre de ces quelques lignes, et ce, du point d’un point de vue juridique.
Si, à première vue, la décision de mettre en place cette campagne n’a pas
été formalisée par une délibération du conseil municipal, il n’en demeure pas
moins que celle-ci a été révélée par le déploiement desdites affiches. Dès
lors, cette décision administrative se doit de respecter la légalité,
c’est-à-dire l’ensemble des règles de droit applicables aux collectivités
publiques.
Ainsi, l’on peut, en premier lieu, se poser la question de la compétence de
la ville de Strasbourg pour mener une telle campagne. L’exécutif municipal est
certes bien compétent pour l’organisation des élections, et contribue, à ce
titre, à la tenue et à la révision des listes électorales, en vertu du Code
électoral.
La campagne n’incite pas seulement à
s’inscrire
Toutefois, la campagne d’affichage en cause ne se limite pas à appeler les
électeurs potentiels à venir s’inscrire sur les listes électorales. Elle leur
suggère également indirectement d’accomplir un tel acte (« je m’inscris et
je vote ») afin d’enrayer une tendance politique incarnée par Donald
Trump. En cela, la campagne délivre indéniablement un message visant à suggérer
une préférence politique, même si cette suggestion consiste en un rejet et non
en une adhésion exprimée formellement en faveur de telle ou telle candidature.
Dès lors, il peut être considéré que la ville de Strasbourg a outrepassé
l’étendue des compétences qui lui sont dévolues pour être exercées « au
nom de l’État ».
Quant au fond, la juridiction administrative a déjà été amenée à se
prononcer sur la légalité de l’apposition par des collectivités territoriales
de « signes symbolisant la revendication d’opinions politiques,
religieuses ou philosophiques sur des édifices publics ». Le Conseil
d’Etat avait estimé en 2005 qu’une telle exposition était
contraire au « principe de
neutralité des services publics » [4]. En l’espèce, le
message véhiculé par l’affiche décrié pourrait être analysé comme exprimant la
revendication d’une opinion politique consistant dans le rejet de la personne
de Donald Trump, de ses orientations politiques et ou de sa manière d’exercer le
pouvoir.
Une interrogation pourrait toutefois être soulevée quant à la qualification
des mobiliers urbains servant de support à cette campagne : s’agit-il d’ « édifices
publics » ? Il nous semble qu’une telle qualification est pleinement
envisageable en ayant une appréhension souple de la notion d’ « édifices
publics », à laquelle s’assimilerait la notion d’ « emplacement
public » [5]. Dès lors, les mobiliers urbains concernés par la campagne
d’affichage en question étant situés sur le domaine public de la commune, cette
campagne d’affichage pourra bien se voir appliquer la grille de lecture donnée
par le Conseil d’État. D’ailleurs, le rapporteur public, sollicité pour donner
son avis sur cette affaire, avait affirmé, en des termes dénués d’équivoque,
que : « le simple passant est en
droit d’attendre des autorités responsables d’un service public qu’elles ne lui
imposent pas, sur la voie publique, la vue d’un signe symbolisant un
attachement particulier à un courant de pensée, à un parti politique ou à des
convictions religieuses » [6].
La campagne d’affichage en question paraît ainsi des plus fragiles du point
de vue de sa légalité [7]. Pour finir, les propos prononcés par Jean-François Lanneluc
[1], directeur de la communication de la Ville de Strasbourg et directeur de
cabinet de Roland Ries, au sujet de la campagne d’affichage, méritent d’être
relevés pour leur caractère on ne peut plus cocasse : « La base de la démocratie, c’est le débat. Si
les gens débattent, j’espère qu’ils auront envie de s’inscrire et ensuite de
voter ; et… naturellement de choisir librement ceux qu’ils souhaiteront ».
On peut douter de la sincérité de ce vœu et de la volonté de respecter ce
principe libéral aux fondements de nos démocraties électives.
[1] Reportage vidéo de France
3 Grand Est publié le 23 novembre 2018 sur le site Youtube, « Donald Trump sur les
affiches de la Ville de Strasbourg pour la campagne des élections
européennes ».
[2] Dans le reportage de
France 3 cité en note de bas de page 1, Roland Ries, maire de Strasbourg,
reconnait que la figure de Trump n’est qu’un « instrument » au soutien du message selon lequel les populismes
montants en Europe ne sont pas « la
bonne voie ». C’est la raison pour laquelle nous employons
l’expression « instrumentalisation » dans l’intitulé du billet.
[3] Pour une critique
stimulante de cette campagne d’affichage, peut être lu le billet publié par
Nicolas Kaspar, le 24 novembre 2018 sur le site Pokaa, « Strasbourg
affiche Donald Trump dans ses rues pour inciter à voter aux européennes ».
[4] CE, 25 juillet 2005, n° 259806 :
en l’espèce, le Conseil d’Etat avait estimé illégale la délibération autorisant
la pose, sur le fronton de la mairie d'une commune située en Martinique, d'un
drapeau rouge, vert et noir qui, s'il n'est pas l'emblème d'un parti politique
déterminé, est le symbole d'une revendication politique exprimée par certains
mouvements présents en Martinique.
[5] A cet égard, l’article 28
de la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat impose une
obligation de neutralité religieuse pour les « monuments publics » et
les « emplacements publics ».
[6] Francis Donnat, « Les
drapeaux sur les édifices publics et la neutralité du service public »,
RFDA 2005. 1137
[7] Sachant, en outre, que le
présent billet n’a pas abordé ladite campagne d’affichage à la lumière des
règles propres à la période électorale, période durant laquelle les autorités
municipales doivent redoubler de vigilance.