mercredi 2 septembre 2015

Rentrée 2015 - Charte de la laïcité et Enseignement Moral et Civique : mêmes questions, mêmes défis

L'heure de la reprise a sonné pour des millions d'écoliers, de collégiens et de lycéens... mais aussi d'étudiants de l'enseignement supérieur, sans oublier les professeurs, les personnels techniques et administratifs.   


Concernant l'enseignement public, la rentrée a été marquée par deux mesures fortement médiatisées principalement applicables aux écoles, collèges et lycées publiques: 
- l'introduction solennelle d'une "Charte de la laïcité à l'école" (reproduite ci-dessous) ayant vocation à être "signée" par les parents (1)
- et de façon plus conséquente, l'introduction d'un "nouveau" (2) cours intitulé "Enseignement Moral et Civique" (EMC) dont le programme, l'organisation et les modalités peuvent être consultés sur le site de l'Education nationale.



Concernant la Charte, l' "invitation" à signer celle-ci a suscité nombre de réactions notamment sur la possibilité d'un refus des parents ou encore sur l'utilisation d'un tel refus par "certains groupes religieux" à des fins de prosélytisme (3). 

Ces réactions nous semblent passer à côté du fond du débat. 

En effet, l’enjeu autour de l’enseignement de cette Charte et plus généralement autour du « nouvel » Enseignement Moral et Civique réside, à notre sens, davantage dans la capacité des équipes pédagogiques à transmettre un certain nombre de valeurs, idéaux ou encore principes de la République et de la vie en société tout en autorisant (4) ou en incitant à la réflexivité critique des élèves par rapport à cette Charte et à son contenu, par rapport à l’Ecole qu’ils fréquentent et de façon générale par rapport à la Société toute entière, dont il aspire à être des composantes autonomes et responsables



Le défi que pose ce genre de texte à l’Institution [entendre l'Ecole publique], c’est par exemple celui de la concrétisation sociale de l’égalité dans les chances de réussite (art. 1, 4, 7 de la Charte) ou encore celui de la lutte contre les discriminations de toutes sortes (art. 8, 9 de la Charte).

Et concernant justement ce premier point - celui de l'égalité dans les chances de réussite, peut être lu à profit le billet "Changer l'école, changer la société..." (31.08.2015) de Philippe Watrelot reprenant une enquête menée par un service interne du ministère de l'Education nationale qui porte la lumière sur le défi que doit relever l'Ecole publique face aux inégalités sociales, notamment pour éviter qu'elle soit le lieu de leur amplification


Pour revenir au défi tenant à la culture d'une réflexivité critique (5) - à l'opposé de politiques incantatoires, peuvent être cités de récents écrits du sociologue et historien, Jean Baubérot, qui:

- tantôt s'amuse à jouer des incomplétudes ou potentiels questionnements sous-jacents aux dispositions de la Charte - "Charte de la laïcité : vive l’école laïque" (9 septembre 2013)

- tantôt déplore les lacunes dans l'élaboration de contenus scientifiques relatifs au fait laïque et prend l'exemple ainsi du nécessaire recul sur soi que doit avoir l'Institution quand elle aborde un sujet comme l'égalité homme-femme - "Dix pistes sur la laïcité et l'école" (17 février 2015).


L'impérieuse nécessité d'un travail "sur soi" et "envers" les élèves que doit accomplir l'Institution a encore été soulignée par ce sociologuedans un article datant du 31 août 2015 relatif à l'Enseignement Moral et Civique (EMC)dans les termes suivants  : 

"[...] l’EMC peut représenter une opportunité à condition de ne pas concerner que les élèves, mais d’interroger l’ensemble de l’institution scolaire et la société dans son ensemble"

"C’est pourquoi, il faut absolument prévoir des retours : que des interpellations et sur l’institution scolaire et sur la société globale puissent obtenir de la visibilité sociale, que les paroles des élèves, des parents d’élèves, et des membres de la « communauté éducative » (des enseignants aux concierges) soient entendues, écoutées, prises en compte. Que chacun ait à cœur de balayer, au moins un peu !, devant sa porte. Utopie, peut-être, mais combien indispensable !"

Espérons que ce vœux soit entendue... 
Bonne rentrée à tous!

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(1) Charte déjà introduite dès la rentrée 2013: circulaire n° 2013-144 du 6-9-2013 . Ce document est donc remis au goût du jour avec l'introduction concomitante d'un nouvel Enseignement Moral et Civique et l'invitation officielle du ministère de l'Education nationale à signer ledit document

(2) Le caractère "nouveau" de l'enseignement introduit est à relativiser dans la mesure où celui-ci s'inscrit dans le prolongement d'enseignements similaires préexistants.  

(3) Peut être lu le commentaire que nous avons laissé sous le billet du professeur Letteron en date du 1er septembre 2015 et intitulé "La signature de la Charte de la laïcité, ou comment affaiblir la loi de la République" - commentaire se recoupant en partie avec le présent billet. 

(4) Le verbe "autoriser" est employée à dessein eu égard aux séquences post-Charlie qui ont vu certains professeurs allant jusqu'à demander à leurs élèves "s'il était ou non Charlie" et à agir ensuite, en conséquence et avec "discernement" [ironie], en ayant, par exemple, recours aux forces de l'ordre... 

(5) Comme exemple d'une posture antinomique à cet effort de "réflexivité critique" peuvent être rappelés les propos de Najat Vallaud-Belkacem prononcés le 14 janvier 2015 à l'Assemblée nationale : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les "Oui je soutiens Charlie, mais", les "deux poids, deux mesures", les "pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?" Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs ». 


appendices :


------ 2 septembre 2015 20h40 ------

L'enseignement de la morale à l'école, "une absurdité" selon Enthoven

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