Tout s’est passée très vite, une nouvelle fois - et pour le pire - comme nous y habitue la Turquie… 24 heures ne s’étaient pas écoulées suite à l’abominable massacre de Nice que la Turquie a été confrontée, en début de cette soirée du 15 juillet 2016, à une tentative de putsch.
Tout a commencé avec la
fermeture par les militaires des 2 ponts enjambant le Bosphore à Istanbul et le
survol à basse altitude par des avions de chasse de grandes métropoles, à l’instar de la capitale Ankara. La
nouvelle a fait le tour des réseaux sociaux. Et la qualification « putschiste »
s’est rapidement imposée à mesure de l’arrivée parcellaire et confuse des
informations.
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Le Pont du Bosphore, aux couleurs de le France, bloqué par les militaires. 15 juillet 2016. |
Le bilan humain fait état de
dizaines de morts (civils et forces de l’ordre policières & militaires) et autant de blessés. Tandis
que la situation relayée à partir du terrain évoque des affrontements plus ou
moins violents entre civils/policiers et militaires, des bombardements de
cibles ici et là, des arrestations de militaires, des lynchages ou tentatives
de lynchage de militaires impliqués dans la tentative de coup d’Etat, d’affrontements
au sein-même des militaires, des occupations d’institutions ou de médias audiovisuels…
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Pont du Bosphore: reddition de militaires tôt ce matin après avoir bloqué le pont plusieurs heures durant. |
Le gouvernement semble avoir
repris le contrôle en fin de soirée et le Président de la République turque
absent depuis plusieurs heures a refait surface à cette occasion et a tenu un
meeting en tout début de matinée à l’aéroport Atatürk d’Istanbul pour condamner cette tentative de coup d’Etat, l’imputer
à la confrérie Gülen - qu’il accuse de vouloir renverser le gouvernement en
place depuis, au moins, la fin 2013,- et
promettre une répression des plus sévères.
Cet événement historique aura
des répercussions dont l’ampleur ne saurait être mesurée, en l’état actuel,
tant au niveau interne, qu’à l’échelle régionale et internationale. Les conditions, les circonstances et les
instigateurs de cette tentative de putsch pourront et devront faire l'objet d'investigations tant la tentative de coup d’Etat semble avoir été impréparée : quid de
l’absence totale du moindre contrôle généralisé de tout l’appareil communicationnel
traditionnel (TV/radio) ou encore quid de l’absence d’arrestation militaire d’un
quelconque membre du corps politique ou quid du nombre, à 1ère vue, relativement
restreint de putschistes impliqués – modalités qui ne sauraient généralement
être indifférents à la survenue et à la réussite de putschs, une histoire à
laquelle la Turquie n’est pas étrangère.
En l’absence de réponses
suffisantes à ces questions, il est indéniable que l’ingouvernabilité remarquée et remarquable de ces dernières années ne pourrait qu’être aggravée par une
fragmentation accélérée au sein de l’Etat et au sein du peuple, mais aussi
entre l’Etat et le peuple – prélude aux pires lendemains…
Dans les agitations, incidents, affrontements multiples qui ont émaillé la soirée, une séquence substantielle mérite d’être relevée avec attention, celle de la prise de contrôle de la chaîne publique TRT par un groupe de putschistes qui a contraint l’antenne à diffuser à 2 reprises le communiqué traduit et reproduit ci-dessous s’adressant au peuple turc au nom d’un « Conseil de paix dans le pays » : un document dans lequel le groupe militaire dissident déclare mettre la main sur le pouvoir, énonce ses justifications ainsi que les modalités et garanties devant accompagner cette prise du pouvoir.
Dans les agitations, incidents, affrontements multiples qui ont émaillé la soirée, une séquence substantielle mérite d’être relevée avec attention, celle de la prise de contrôle de la chaîne publique TRT par un groupe de putschistes qui a contraint l’antenne à diffuser à 2 reprises le communiqué traduit et reproduit ci-dessous s’adressant au peuple turc au nom d’un « Conseil de paix dans le pays » : un document dans lequel le groupe militaire dissident déclare mettre la main sur le pouvoir, énonce ses justifications ainsi que les modalités et garanties devant accompagner cette prise du pouvoir.
PS : J'ai tenté de traduire le plus fidèlement possible. La traduction peut être améliorée si besoin.
Le
verbatim de la lecture faite par la présentatrice de la chaîne débute par ces mots :
« La diffusion
du texte suivant sur toutes les chaînes de la République de Turquie est souhaitée
et ordonnée par les Forces Armées Turques (TSK).
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« Valeureux
citoyens de la République de Turquie,
Considérant
que les violations systématiquement perpétrées de la Constitution et des lois ont
fini par représenter une menace significative du point de vue des attributs essentiels
de l’Etat et de ses institutions vitales ; que, tant les Forces Armées
Turques que toutes les autres institutions de l’Etat ont fait l’objet d’ « ingénierie »
pour des motifs idéologiques et n’ont, de ce fait, pas été mises en mesure d’accomplir
leur mission.
Considérant que les droits et libertés fondamentaux ont été abîmés par le Président de la République et les responsables gouvernementaux empêtrés
dans la mégarde, l’erreur voire la trahison ; que l’ordre juridique laïc
et démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs a dans les faits été écarté.
Considérant que notre Etat a perdu la crédibilité qu’il méritait
sur la scène internationale et a été transformé en un Etat dirigé par une
autocratie fondée sur la peur, dans lequel les droits fondamentaux universels
de l’homme ont été ignorés.
Considérant que suite à une décision fautive du pouvoir
politique, le terrorisme croissant, que celui-ci a rechigné à combattre, a coûté la vie à de
nombreux de nos citoyens innocents ainsi que de nos forces de sécurité luttant
contre les terroristes.
Considérant que la corruption et le vol ayant cours au
sein de la bureaucratie a atteint des niveaux considérables, et qu’à l’échelle
du pays, le système juridique devant y faire face a été rendu inopérant.
Considérant que, dans ces conditions
et circonstances, les Forces Armée Turques (TSK) - protectrice de notre
République, crée sous le leadership du Grand Atatürk et grâce aux sacrifices
exceptionnels de notre peuple – en vertu de la devise « Paix dans le pays,
Paix dans le monde » a mis la main sur la direction du pays afin :
- D’assurer
l’indivisible intégrité de la patrie, la sûreté de l’Etat et du peuple ;
- D’éradiquer
les dangers auxquels font face les acquis de notre République ;
- D’écarter
les obstacles obstruant de facto l’Etat de droit ;
- D’empêcher
la corruption devenue une menace de sécurité nationale ;
- D’ouvrir
la voie à la lutte efficace contre le terrorisme et toute sorte de terreur ;
- De
garantir à tous nos concitoyens les droits fondamentaux universels sans aucune
distinction ethnique ou religieuse [en termes de « secte »] ;
- De
rétablir l’ordre constitutionnel reposant sur le principe de l’Etat de droit
laïc, démocratique et social ;
- De regagner
la crédibilité internationale perdue de notre Etat et de notre peuple ;
- De rétablir
une relation et un partenariat plus fort pour la garantie de la paix, de la
stabilité et la sérénité sur la scène internationale.
La direction de l’Etat sera assurée par le « Conseil de paix dans le pays » qui a été formé.
Considérant que le « Conseil de paix dans le pays » a
pris toutes ses dispositions pour remplir les obligations découlant des engagements
pris auprès des Nations-Unies, de l’OTAN et de toutes les autres organisations
internationales.
Le pouvoir qui a perdu sa légitimité a été écarté du pouvoir.
Toutes personnes et institutions s’étant trouvées en situation de trahir la patrie
vont pouvoir rendre des comptes dans les délais les plus brefs devant des
juridictions compétentes et se prononçant avec équité et justice au nom de
notre nation.
La loi martiale est
déclarée sur tout le territoire national.
Il est interdit jusqu’à un second ordre de sortir dans la rue.
Il est important que nos concitoyens se conforment consciencieusement à cette
interdiction pour leur sécurité.
Des dispositions additionnelles ont été prises concernant les
sorties du territoire à partir des aéroports, des postes frontaliers et des
ports.
Toutes dispositions visant à rétablir l’ordre étatique et sa
continuité dans le plus bref délai ont été prises et trouvent à s’appliquer.
Aucune nuisance ne saura permise à l’endroit de nos concitoyens, et aucun
trouble à l’ordre public ne saurait être toléré.
La liberté d’expression, le droit de propriété, ainsi que les
droits fondamentaux universels de tous nos concitoyens sans distinction aucune
sont placées sous la garantie du « Conseil de paix dans le pays ».
Le « Conseil de paix dans le pays »
va assurer la préparation d’une Constitution incluant toutes les composantes de
la société dans distinction aucune de langue, de religion, et d’origine
ethnique et ce, dans le respect de la structure unitaire de l’Etat.
Le « Conseil de paix dans le pays » prendra, au nom de
notre nation, toutes dispositions jusqu’au rétablissement d’un ordre constitutionnel
reposant sur les principes d’un droit moderne, démocratique, social et laïc.
Ce message s’adresse respectueusement
à tous nos concitoyens.
Le « Conseil de paix dans le pays » »
Le « Conseil de paix dans le pays » »