samedi 16 juillet 2016

15 juillet 2016: le spectre d’une fragmentation nationale accélérée, un putsch avorté, un communiqué et des questions…



Tout s’est passée très vite, une nouvelle fois - et pour le pire - comme nous y habitue la Turquie… 24 heures ne s’étaient pas écoulées suite à l’abominable massacre de Nice que la Turquie a été confrontée, en début de cette soirée du 15 juillet 2016, à une tentative de putsch.

Tout a commencé avec la fermeture par les militaires des 2 ponts enjambant le Bosphore à Istanbul et le survol à basse altitude par des avions de chasse de grandes métropoles, à l’instar de la capitale Ankara. La nouvelle a fait le tour des réseaux sociaux. Et la qualification « putschiste » s’est rapidement imposée à mesure de l’arrivée parcellaire et confuse des informations.

Le Pont du Bosphore, aux couleurs de le France, bloqué par les militaires. 15 juillet 2016.



Le bilan humain fait état de dizaines de morts (civils et forces de l’ordre policières & militaires) et autant de blessés. Tandis que la situation relayée à partir du terrain évoque des affrontements plus ou moins violents entre civils/policiers et militaires, des bombardements de cibles ici et là, des arrestations de militaires, des lynchages ou tentatives de lynchage de militaires impliqués dans la tentative de coup d’Etat, d’affrontements au sein-même des militaires, des occupations d’institutions ou de médias audiovisuels…


Pont du Bosphore: reddition de militaires tôt ce matin après avoir bloqué le pont plusieurs heures durant. 

Le gouvernement semble avoir repris le contrôle en fin de soirée et le Président de la République turque absent depuis plusieurs heures a refait surface à cette occasion et a tenu un meeting en tout début de matinée à l’aéroport Atatürk d’Istanbul pour condamner cette tentative de coup d’Etat, l’imputer à la confrérie Gülen - qu’il accuse de vouloir renverser le gouvernement en place depuis, au moins, la fin 2013,- et promettre une répression des plus sévères.

Cet événement historique aura des répercussions dont l’ampleur ne saurait être mesurée, en l’état actuel, tant au niveau interne, qu’à l’échelle régionale et internationale. Les conditions, les circonstances et les instigateurs de cette tentative de putsch pourront et devront faire l'objet d'investigations tant la tentative de coup d’Etat semble avoir été impréparée : quid de l’absence totale du moindre contrôle généralisé de tout l’appareil communicationnel traditionnel (TV/radio) ou encore quid de l’absence d’arrestation militaire d’un quelconque membre du corps politique ou quid du nombre, à 1ère vue, relativement restreint de putschistes impliqués – modalités qui ne sauraient généralement être indifférents à la survenue et à la réussite de putschs, une histoire à laquelle la Turquie n’est pas étrangère.

En l’absence de réponses suffisantes à ces questions, il est indéniable que l’ingouvernabilité remarquée et remarquable de ces dernières années ne pourrait qu’être aggravée par une fragmentation accélérée au sein de l’Etat et au sein du peuple, mais aussi entre l’Etat et le peuple – prélude aux pires lendemains…

Dans les agitations, incidents, affrontements multiples qui ont émaillé la soirée, une séquence substantielle mérite d’être relevée avec attention, celle de la prise de contrôle de la chaîne publique TRT par un groupe de putschistes qui a contraint l’antenne à diffuser à 2 reprises le communiqué traduit et reproduit ci-dessous s’adressant au peuple turc au nom d’un « Conseil de paix dans le pays » : un document dans lequel le groupe militaire dissident déclare mettre la main sur le pouvoir, énonce ses justifications ainsi que les modalités et garanties devant accompagner cette prise du pouvoir.

PS : J'ai tenté de traduire le plus fidèlement possible. La traduction peut être améliorée si besoin.  



Le verbatim de la lecture faite par la présentatrice de la chaîne débute par ces mots :

« La diffusion du texte suivant sur toutes les chaînes de la République de Turquie est souhaitée et ordonnée par les Forces Armées Turques (TSK).

et se poursuit par la lecture du communiqué:

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« Valeureux citoyens de la République de Turquie,

Considérant que les violations systématiquement perpétrées de la Constitution et des lois ont fini par représenter une menace significative du point de vue des attributs essentiels de l’Etat et de ses institutions vitales ; que, tant les Forces Armées Turques que toutes les autres institutions de l’Etat ont fait l’objet d’ « ingénierie » pour des motifs idéologiques et n’ont, de ce fait, pas été mises en mesure d’accomplir leur mission.

Considérant que les droits et libertés fondamentaux ont été abîmés par le Président de la République et les responsables gouvernementaux empêtrés dans la mégarde, l’erreur voire la trahison ; que l’ordre juridique laïc et démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs a dans les faits été écarté.

Considérant que notre Etat a perdu la crédibilité qu’il méritait sur la scène internationale et a été transformé en un Etat dirigé par une autocratie fondée sur la peur, dans lequel les droits fondamentaux universels de l’homme ont été ignorés.

Considérant que suite à une décision fautive du pouvoir politique, le terrorisme croissant, que celui-ci a rechigné à combattre, a coûté la vie à de nombreux de nos citoyens innocents ainsi que de nos forces de sécurité luttant contre les terroristes.

Considérant que la corruption et le vol ayant cours au sein de la bureaucratie a atteint des niveaux considérables, et qu’à l’échelle du pays, le système juridique devant y faire face a été rendu inopérant.

Considérant que, dans ces conditions et circonstances, les Forces Armée Turques (TSK) - protectrice de notre République, crée sous le leadership du Grand Atatürk et grâce aux sacrifices exceptionnels de notre peuple – en vertu de la devise « Paix dans le pays, Paix dans le monde » a mis la main sur la direction du pays afin :
   

- D’assurer l’indivisible intégrité de la patrie, la sûreté de l’Etat et du peuple ;
- D’éradiquer les dangers auxquels font face les acquis de notre République ;
- D’écarter les obstacles obstruant de facto l’Etat de droit ;
- D’empêcher la corruption devenue une menace de sécurité nationale ;
- D’ouvrir la voie à la lutte efficace contre le terrorisme et toute sorte de terreur ;
- De garantir à tous nos concitoyens les droits fondamentaux universels sans aucune distinction ethnique ou religieuse [en termes de « secte »] ;
- De rétablir l’ordre constitutionnel reposant sur le principe de l’Etat de droit laïc, démocratique et social ;
- De regagner la crédibilité internationale perdue de notre Etat et de notre peuple ;
- De rétablir une relation et un partenariat plus fort pour la garantie de la paix, de la stabilité et la sérénité sur la scène internationale.


La direction de l’Etat sera assurée par le « Conseil de paix dans le pays » qui a été formé.

Considérant que le « Conseil de paix dans le pays » a pris toutes ses dispositions pour remplir les obligations découlant des engagements pris auprès des Nations-Unies, de l’OTAN et de toutes les autres organisations internationales.

Le pouvoir qui a perdu sa légitimité a été écarté du pouvoir. Toutes personnes et institutions s’étant trouvées en situation de trahir la patrie vont pouvoir rendre des comptes dans les délais les plus brefs devant des juridictions compétentes et se prononçant avec équité et justice au nom de notre nation.

La loi martiale est déclarée sur tout le territoire national.

Il est interdit jusqu’à un second ordre de sortir dans la rue. Il est important que nos concitoyens se conforment consciencieusement à cette interdiction pour leur sécurité.

Des dispositions additionnelles ont été prises concernant les sorties du territoire à partir des aéroports, des postes frontaliers et des ports.

Toutes dispositions visant à rétablir l’ordre étatique et sa continuité dans le plus bref délai ont été prises et trouvent à s’appliquer. Aucune nuisance ne saura permise à l’endroit de nos concitoyens, et aucun trouble à l’ordre public ne saurait être toléré.

La liberté d’expression, le droit de propriété, ainsi que les droits fondamentaux universels de tous nos concitoyens sans distinction aucune sont placées sous la garantie du « Conseil de paix dans le pays ».

Le « Conseil de paix dans le pays » va assurer la préparation d’une Constitution incluant toutes les composantes de la société dans distinction aucune de langue, de religion, et d’origine ethnique et ce, dans le respect de la structure unitaire de l’Etat.

Le « Conseil de paix dans le pays » prendra, au nom de notre nation, toutes dispositions jusqu’au rétablissement d’un ordre constitutionnel reposant sur les principes d’un droit moderne, démocratique, social et laïc.



Ce message s’adresse respectueusement à tous nos concitoyens. 

Le « Conseil de paix dans le pays » »


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