L'article ci-après a été rédigé en juin 2018.
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Combien de fois n’avons-nous pas entendu la convention partagée de nombre d'acteurs de la justice selon laquelle « le temps judiciaire, n’est pas le temps
médiatique » ? Pourtant force est de constater que l’intervalle
de temps entre ces deux séquences est de nos jours de plus en plus réduite, de
sorte qu’il pourrait être possible de constater,
à présent, une certaine simultanéité entre ces deux phases.
Aussi
les affaires pénales, civiles, administratives mais aussi constitutionnelles
retentissantes donnent-elle lieu à des « directs » – principalement
sur les chaînes d’infos en continu, dans lesquels l’on voit défiler différentes
personnalités se prévalant à un titre ou un autre d’une expertise censée
justifiée son « dire » sur l’affaire en question.
Ceci
est bien sûr compréhensible à l’ère de la circulation désentravée et de la
profusion continue des informations par le biais des médias
« classiques » (presse écrite et radio-télévision) et des réseaux
sociaux (Facebook, Twitter, etc). A cet égard, la liberté d’expression et de
communication est consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Conseil constitutionnel affirme, de manière constante,
que cette liberté « est d'autant
plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des
garanties du respect des autres droits et libertés ».
Cette
« médiatisation » peut se justifier également, dans une certaine
mesure, par l’exigence consubstantielle à tout « procès équitable »,
qui est celle de la publicité du débat judiciaire. D’ailleurs, cette exigence a
depuis quelques années pris une dimension nouvelle, et à la pratique établie – et toujours foisonnante – de la chronique judiciaire s’est ajoutée,
principalement, celle du « live-tweet » aux termes duquel les
échanges au cours d’une audience sont simultanément retranscrits et partagés
par tout quidam ou journaliste, sur un réseau social en l’occurrence. Le procès
en correctionnel de Jawad Bendaoud a été symptomatique des virtualités d’un tel
exercice de « communication », qui met en scène
le « théâtre judiciaire » en dehors du strict prétoire.
La
nécessité de faire connaître et de rendre commun la justice peut également
trouver un fondement dans le principe inscrit à l’article 15 de la Déclaration
de 1789 selon lequel « la société a
le droit de demander compte à tout agent public de son administration » et
dont le Conseil constitutionnel a admis dernièrement le caractère invocable en
tant que droit et liberté constitutionnellement garanti (décision n°2017-655QPC du 15 septembre 2017).
D’ailleurs
la justice prend déjà le soin de communiquer « autour » de ses
décisions principalement par le biais de communiqués de presse. C’est le cas du
Conseil constitutionnel mais également de la juridiction administrative qui
semble à cet égard avoir développé une véritable culture de la communication
juridictionnelle et ce, des juges du fond jusqu’au Conseil d’Etat, qui, le cas
échéant, va même jusqu’à diffuser des communiqués en langue étrangère. Il en va
ainsi de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la décision de justice au
sujet de laquelle le citoyen intéressé doit pouvoir se faire une opinion ;
quant au journaliste, il doit pouvoir y trouver une source fiable et un tant
soit peu décryptée.
La
justice civile et, dans une certaine mesure, pénale – rendant un nombre de
jugements plus conséquent – trouverait sans doute matière à s’inspirer de la
culture de la communication publique précédemment décrite. Elle pourrait alors
espérer améliorer la réception et la compréhension – voire l’acceptation – de
ses décisions les plus retentissantes et lutter ainsi contre toutes velléités
de « fakes news » qui seraient diffusées par des personnes n’ayant
pas accès au dossier de l’affaire en question. Il n’y a, à cet égard, qu’à
observer les emballements politiques et médiatiques qu’ont pu provoquer des
affaires de mœurs impliquant des mineurs, à l’instar de l’affaire dite de
Pontoise.
Mais
ce serait faire injustice à la justice pénale que de considérer que rien n’est
accomplie en la matière puisque depuis près de vingt ans désormais, le secret
de l’enquête et de l’instruction peut ponctuellement être mis en suspens par le
procureur de la République « afin d’éviter la propagation
d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à
l’ordre public ». Celui-ci rend alors publics « des éléments objectifs tirés de la procédure ne
comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre
les personnes mises en cause » (article 11 du code de procédure pénale).
Le public a bien connu cette possibilité à
l’occasion non seulement des conférences de presse du procureur de la
République, François Molins, faisant suite à des attentats terroristes ou
projets d’attentats déjoués, mais aussi à l’occasion d’affaires criminelles
sordides récentes. Le but de la communication est alors de préserver
l’efficacité de l’enquête, éviter la diffusion de nouvelles inexactes, rappeler
le respect de la présomption d’innocence, voire même veiller au respect dû aux victimes.
Dans une affaire criminelle récente, Edwige Roux-Morizot, procureure de la République de Besançon, appelait ainsi la justice à « reprendre la place qui est la sienne » : « la voie de la raison au milieu de
cette folie médiatique ». A bon entendeur !
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