dimanche 3 janvier 2016

Une validation sinueuse de l’assignation à résidence en état d’urgence doublée d’un appel renforcé au contrôle du juge administratif état d’urgence

AVERTISSEMENT: article publié dans le cadre des Lettres Actualités Droits-Libertés du CREDOF le 31 décembre 2015 



La question de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis du régime de l’assignation à résidence en état d’urgence surgit dans un contexte assez singulier et plutôt tendu, ne serait-ce que d’un point de vue temporel, ainsi que l’illustre la volonté du pouvoir politique d’agir vite et avec force face à des attaques qui ont ensanglanté la nuit parisienne le 13 novembre dernier. Ainsi, suite à la déclaration quasi-concomitante de l’état d’urgence, celui-ci a fait l’objet non seulement d’une prolongation législative mais également d’une modification substantielle de son régime par la loi du 20 novembre 2015. Et à trois reprises le Conseil d’Etat est venu, dans le cadre de sa fonction consultative, se prononcer sur le principe, les modalités de l’état d’urgence, ainsi que les mesures pouvant être prises « dans » ou « hors » cet état de crise. Les juges du Palais-Royal ont également eu à connaître des premiers recours contentieux relatifs à la mise en œuvre d’une mesure d’assignation à résidence prévue par la loi relative à l’état d’urgence et ont à cette occasion transmis une QPC au Conseil constitutionnel afin de vérifier la conformité d’une telle mesure aux droits et libertés constitutionnels. Ce dernier y a répondu, sous une dizaine de jours, en validant la mesure après un sinueux travail de qualification de la mesure sous certaines réserves et une adresse forte à l’égard du juge administratif pour que celui-ci assure un contrôle effectif des mesures d’assignation à résidence. Si cette décision porte sur un type de mesure bien précis, son étude n’en éclaire et concerne pas moins de nombreux éléments du régime actuel de l’état d’urgence.


En un peu moins de deux semaines, les plus hautes instances juridictionnelles et consultatives françaises ont été mobilisées afin d’apporter des précisions sur l’encadrement juridique du statut et du régime actuel de l’état d’urgence ainsi que sur de futures évolutions normatives pouvant l’affecter.





2L’état d’urgence déclaré, dans un premier temps, à compter du 14 novembre 2015, par décret délibéré en Conseil des ministres1 a fait l’objet d’une prorogation de trois mois ainsi que d’une modification en plusieurs points de son régime - notamment sur la question de l’assignation à résidence ici étudiée - par une seule et même loi : la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions. Aussi, le Conseil d’Etat, qui avait rendu un avis sur le projet de loi relative à la prorogation et à la « modernisation »2 de l’état d’urgence3, a été amené à poursuivre sa réflexion sur la question d’une constitutionnalisation du recours à l’état d’urgence4 d’une part, ainsi que sur la possibilité de mettre en place une assignation à résidence hors état d’urgence dans l’hypothèse d’individus « radicalisés et présentant des indices de dangerosité »5, d’autre part.
  •  
  •   
3Parallèlement à ce contexte de foisonnement du travail consultatif, la Haute juridiction administrative a été saisie en appel de plusieurs ordonnances de référé-liberté qui, toutes, ont refusé de faire droit à des demandes de suspension des effets de l’assignation à résidence en cause6. C’est à l’occasion de l’un de ces recours7 qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été posée par un requérant assigné à résidence pendant la durée de la COP21. Cette question portait sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015. Le requérant arguait d’une atteinte injustifiée à la liberté d’aller et de venir, au droit de mener une vie familiale normale, à la liberté de réunion et de manifestation, d’une incompétence négative du législateur et, d’une méconnaissance de l’article 66 de la Constitution.
  •  
4Saisi le 11 décembre 2015 de cette QPC, le Conseil constitutionnel y apporte une réponse dès le 22 décembre 20158 après une audience publique en date du 17 décembre 2015. Il reformule tout d’abord la question posée en la limitant aux neufs premiers alinéas de l’article 6 de la loi de 1955 modifiée - et non pas à l’intégralité de cet article - puisque le dernier alinéa était relatif à la possibilité d’un placement sous surveillance électronique mobile, possibilité qui ne concernait pas le présent litige.
5Le Conseil constitutionnel répond à la question posée avec une insistance plus ou moins marquée selon les griefs avancés avant de conclure à la conformité de l’actuel régime de l’assignation à résidence, au sens de la loi de 1955, aux droits et libertés constitutionnels.
6Pour y parvenir, les Sages de la rue Montpensier s’attachent à montrer en quoi l’assignation à résidence prévue par la loi de 1955 n’entre « en principe » pas dans le champ d’application de l’article 66 de la Constitution garantissant le monopole de l’intervention d’un juge judiciaire en matière de privation de liberté (1°). A ce postulat non dénué de toutes réserves, succède la validation du caractère proportionné de la mesure d’assignation à résidence au regard de la liberté d’aller et de venir et des exigences découlant de l’article 34 de la Constitution (2°). Enfin, la présente décision constitue une adresse forte à l’attention des juges administratifs afin que ceux-ci veillent à ce que les mesures d’assignation à résidence ne débordent pas du lit de l’Etat de droit (3°).

La suite ICI : lien internet et PDF


1 Décrets n° 2015-1475 ; n° 2015-1476 ; n° 2015-1478 ; n° 2015-1493.
2 Appellation retenue ici et là pour désigner non seulement le toilettage effectué du régime de la loi du 3 avril 1955 mais également les modifications substantielles - non dénuées de conséquences en termes de droits et libertés - apportées à ce même texte.
6 CE, Sect., 11 décembre 2015, n° 395009 ; n° 394990 ; n° 394992 ; n° 394993 ; n° 394989 ; n° 394991 ; n° 395002 : le Conseil d’Etat rejette, à son tour, 6 des 7 requêtes et sursoit à statuer pour l’une d’elle - la requête n° 395009 - qui est le support de la QPC ici examinée.
7 Sur cette ordonnance : Kenza Belghiti et Nina Korchi, « Référés libertés sur les mesures d’assignation à résidence : Un contrôle juridictionnel de façade », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 21 décembre 2015.

-----------
appendices:


>> Assemblée nationale, Contrôle parlementaire de l'état d'urgence  [lien ajouté le 14/01/2016]

>> Recension de jurisprudence en provenance de TA de France et de Navarre proposée par @bismatoj  

>> CE, ord, 6 janvier 2016, n° 395620, 395621 - Assignation à résidence et fermeture administrative provisoire d’un restaurant  [lien ajouté le 12/01/2016]
>> CE, ord, 6 janvier 2016, n° 395622 - Assignation à résidence et modalités  [lien ajouté le 12/01/2016]
>> 1ère suspension d'une assignation par CE, ord, 22 janvier 2016, n° 396116 - Assignation à résidence  [lien ajouté le 23/01/2016]
>> Les ordres de perquisition administrative jugés illégaux, ledauphine.com, 14.01.2016 [lien ajouté le 14/01/2016]


>> CE, 15 janvier 2016, n°395091, n°395092, transmission de 2 QPC relatives aux articles 8 (interdiction de réunion) et 11 (perquisition administrative) de la loi de 1955 modifiée [lien ajouté le 15/01/2016]

>> Référé contre l’état d’urgence : les pièces du dossier - ordonnance du CE attendue le 27.01.2016 à 17h  [lien ajouté le 26/01/2016]  --> REJET : communiqué du CE  [lien ajouté le 28/01/2016



Etat d’urgence : le réveil des tribunaux administratifsJean-Baptiste Jacquin, lemonde.fr, 01.01.2016
Etat d’urgence : des juges administratifs appellent à la prudence, collectif de juges adminsitratifs, blogs.mediapart.fr, 29.12.2015
Libertés publiques : la dangereuse ascension du Conseil d’ÉtatPierre-Marie Meeringen, contrepoints.org, 07.01.2016 [lien ajouté le 07/01/2016]
Des risques d'arbitrairecollectif de juges administratifs, 14.01.2016 [lien ajouté le 14/01/2016]

-----------



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire