mercredi 17 juin 2015

La liberté d’expression aux prises avec la protection contre la diffamation, une « vérité » sans cesse extirpée de son puits par les juges de la rue Montpensier

AVERTISSEMENT: article publié dans le cadre des Lettres Actualités Droits-Libertés du CREDOF le 19 août 2013 


 Le droit français de la presse – quasi instinctivement apparenté à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui dispose solennellement en son article 1er que « L’imprimerie et la librairie sont libres » – recouvre une panoplie d’infractions pénales dont les figures de proue historiques sont, sans conteste, les délits d’« injure » et de « diffamation » (article 29 de la loi). Tandis que l’injure se définit par « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », la diffamation renvoie, elle, à « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Le second de ces délits de presse a récemment été au cœur d’une affaire portée devant le Conseil constitutionnel. Au terme de sa décision du 7 juin 2013, la juridiction constitutionnelle a encadré plus strictement les conditions de la mise en œuvre de la protection contre la diffamation. En effet, elle a davantage restreint les limitations à la faculté, pour le prévenu, d’invoquer l’ « exception de vérité » dite « exceptio veritatis ». Cette évolution prévisible et souhaitable dans une certaine mesure n’est toutefois pas sans poser certaines interrogations eu égard à ce qui est de plus en plus désigné sous l’appellation d’un « droit à l’oubli ».  

     Face au délit de diffamation visant à protéger l’honneur d’une personne qui en serait victime, le droit de la presse a ponctuellement reconnu la possibilité pour le prévenu de se prévaloir d’un argument de vérité – outre l’argument afférent à la  bonne  foi – en vue de se désengager de sa responsabilité pénale. Toutefois, ce fait justificatif ainsi reconnu a fait l’objet de plusieurs restrictions motivées par des considérations multiples, tenant tant au respect de la vie privée qu’au souci d’assurer une certaine paix sociale. Ces dernières s’analysent alors en de véritables limitations au plein déploiement de la liberté d’expression. C’est sur un tel chemin de crête que le Conseil constitutionnel s’engage afin de s’assurer de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis de la conciliation ainsi opérée par le législateur.

     Le juge constitutionnel a abordé cet enjeu à la faveur d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée à l’occasion d’un litige entre un dentiste qui avait été radié de l’ordre des chirurgiens-dentistes pour avoir dénoncé dans la presse les dérives financières dudit ordre, lequel poursuit alors le dentiste en diffamation (Patrick Roger, « Le Conseil constitutionnel arbitrera un débat juridique entre liberté d’expression et droit à l’oubli », in Le Monde, 22 mai 2013). Les allégations de ce dernier étaient bien relatives à des faits ayant débouché sur des condamnations judiciaires prononcées en 2006. Sauf qu’entre temps, celles-ci avaient fait l’objet d’une amnistie. Le prévenu, qui souhaitait ainsi rapporter la vérité des faits allégués, était légalement empêché de la possibilité de le faire puisque le c) de l’article 35  de la loi du 29 juillet 1881 vient interdire la possibilité de rapporter la preuve des faits notamment lorsque ceux-ci ont donné lieu à une condamnation amnistiée.

     Le requérant excipait ainsi de l’absence de conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, du c) de l’article 35 en vertu duquel la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf  « lorsque l’imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ».

     Ses griefs se concentrent plus précisément sur la violation, par le dispositif incriminé, de la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des principes du procès équitable et des droits de la défense « garantis » par l’article 16 de cette même Déclaration et « relevant » des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République mentionnés au préambule de la Constitution de 1946 (décision de renvoi : Cass., Crim., 19.03.2012, n° 12-90075).

     Ce n’est pas la première fois qu’une disposition de l’article 35 précité se retrouve sur le « banc des accusés » dans une instance de QPC, puisque le b) – qui précède le c) mentionné dans ce même article – avait déjà fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, Mme Térésa C. et autres – ADL du 23 mai 2011) ;

     A l’occasion de l’examen de cette QPC, le Conseil constitutionnel s’est attaché, après avoir rappelé  les normes servant de références à son contrôle, à relever de façon didactique la finalité de chacune des branches de la disposition législative faisant grief, pour ensuite conclure que l’interdiction inconditionnelle et indifférenciée ainsi prescrite, « par son caractère général et absolu, porte à la liberté d’expression une atteinte qui n’est pas proportionnée au but poursuivi », et méconnait ainsi l’article 11 de la Déclaration de 1789.

     Aussi, si la solution adoptée par le juge est le fruit d’une évolution déjà engagée tant dans l’ordre juridique interne qu’au niveau de la protection fondée sur la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (), sa réaffirmation solennelle est à maints égards souhaitable du point de vue de la préservation de la dialectique démocratique, même si des questions restent toujours posées quant à la problématique résurgente d’un « droit à l’oubli » () .

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