mercredi 17 juin 2015

Principe de laïcité : Quand le Conseil constitutionnel veut éviter toute discorde sur le front alsacien-mosellan

AVERTISSEMENT: article publié dans le cadre des Lettres Actualités Droits-Libertés du CREDOF le 29 mars 2013 


 Si le principe de laïcité est ancré, en tant que tel, dans le corpus constitutionnel de la République française, il n’en demeure pas moins que sa concrétisation juridique ou – pour employer un néologisme – sa « juridicisation » fait l’objet, elle, de tergiversations plus marquées. La présente espèce est ainsi une occasion renouvelée pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur la valeur et le contenu de ce principe à la lumière de son historicité et de sa spatialité. A la question de savoir si le régime concordataire en vigueur en Alsace (Bas-Rhin et Haut-Rhin) et en Moselle, et au terme duquel les ministres des cultes reconnus sont rémunérés sur les deniers de l’Etat, est contraire aux droits ou libertés que la Constitution garantit, il répond par la négative. Et cela, au prix d’une apparente incohérence juridique, justifiée néanmoins par des considérations politiques perceptibles.

     Dans la présente affaire, le Conseil constitutionnel a eu à connaître de la question de la conformité du régime concordataire, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Cet enjeu devait quasi-inéluctablement surgir puisque ce régime concordataire était source de multiples griefs d’inconstitutionnalité. Or la QPC ambitionne d’« apurer » le passif « anticonstitutionnel » de l’ordre juridique français, plus précisément celles de ses dispositions contraires à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Il s’agissait pour les juges de la rue Montpensier d’apprécier si, sur la particulière mais importante question du traitement des ministres des cultes reconnus en Alsace-Moselle (le budget 2013 de l’Etat prévoit 58 366 886 euros pour rémunérer 1 397 ministres du culte), la prise en charge par l’Etat de cette « masse salariale » portait ou non atteinte – principalement – au principe de laïcité de la République, consacré à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

     Le Conseil constitutionnel a précisément été saisi le 19 décembre 2012 par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ayant trait à l’article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) relative à l’organisation des cultes. Aux termes des dispositions contestées, il est pourvu, dans les trois départements précités, au traitement des pasteurs des églises consistoriales. Ces dispositions ont été maintenues en vigueur par la loi du 1er juin 1924 puis par l’ordonnance du 15 septembre 1944. Tandis que la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’Etat n’a pas été rendue applicable dans ces trois départements, l’association requérante – Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité – soutenait que les dispositions contestées méconnaissaient le principe constitutionnel de laïcité. Selon cette association, « la règle de non-subventionnement des cultes et le principe de non-reconnaissance des cultes, qui résultent du principe de laïcité, font interdiction aux pouvoirs publics de financer l’exercice du culte et d’accorder un statut ou un soutien public à des cultes déterminés »  (considérant 2).

     Si la QPC est bien relative à une disposition législative concernant les cultes protestants, il est évident que la portée de la présente décision ne se cantonne pas exclusivement aux cultes luthériens et calvinistes. Elle concerne en outre les deux autres cultes reconnus (catholique et israélite) au sein du régime concordataire. D’où l’importance cruciale que revêt cette décision afin de trancher la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’un tel régime d’exception en matière de relations Etat-Eglises. Cela est mesurable à la lecture de la décision qui prend acte d’une myriade d’ « observations en interventions » produites par les représentants des différents cultes concernés, mais également par l’Institut du Droit Localpouvant être considéré comme le gardien du « temple du droit local ».

     Confrontée à une telle QPC, le Conseil constitutionnel retrace tout d’abord un bref historique du régime concordataire et de son application dans le temps en Alsace-Moselle, eu égard, d’une part à la loi du 9 décembre 1905 et à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), mais surtout à l’aune du caractère « laïque » de la République française expressément consacré à l’article 1er des Constitutions de la IVème puis de la Vème République (concernant la Constitution de 1958, il s’agissait de l’article 2 de celle-ci, devenu article 1er en 1995). Au terme de cette analyse, il déduit que le principe de laïcité n’est pas violé par la législation concordataire, alors même que celui-ci « implique que [la République] ne salarie aucun culte » (considérant 5).

     Si la motivation fournie par le juge constitutionnel peut sembler, en apparence, relever de l’ « acrobatie juridique » (), il demeure néanmoins que cette décision peut être justifiée par des considérations pragmatiques tenant au rôle du Conseil constitutionnel ainsi qu’à sa politique jurisprudentielle ().

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