mercredi 17 juin 2015

A propos de la PPL Laborde

AVERTISSEMENT: commentaire laissé sous l'article "Le port de signes religieux à l'Université : retour à l'analyse juridique" du professeur Letteron, ainsi que sur seenthis.net

Cher professeur,
Je me permets également de partager très brièvement quelques observations sur ce billet qui a attiré mon attention. Je ne reviens pas sur le fond de l’affaire, ma position étant proche des instances consultatives que sont la CNCDH, l’OdL, le CESE, ou encore le CE..

++ « cette obligation de neutralité ne s’imposera qu’aux établissements bénéficiant de financements publics » : or de nombreuses exonérations sont prévues… cette situation bancale est la résultante de la croyance dans ce que le financement public d’une structure imprimerait automatiquement sur celle-ci certaines des exigences qui sont celles du service public.

++ « Les parents conserveront donc, comme en matière d’enseignement, leur liberté de choix » : la PPL donc si elle venait à être adoptée encouragerait la création de structures communautaires ; je pense qu’il faut en être conscient et ne pas déplorer ensuite une dérive que l’on a pris pour habitude de qualifier d’ « anglo-saxonne »… cf. à cet égard, le processus qui a suivi l’adoption de la loi du 15 mars 2004.

++ « La laïcité consiste donc à faire passer la religion de la sphère publique à la sphère privée » : j’avais déjà fait une remarque dans ce sens dans mon précédent commentaire sur l’interdiction du voile à l’université, il faut selon moi veiller à ne pas se méprendre sur ce « passage de sphère ». Si la religion quitte la sphère étatique, ce n’est pas pour vivre exclusivement recluse dans l’intimité paisible des chaumières. La liberté de conscience dont une des implications est la liberté de croire ou de ne pas croire permet le libre exercice du culte. Et cet exercice a nécessairement un volet collectif ou public dans la mesure où les cultes rassemblent un collectif d’individus autour de pratiques, de rites ou encore d’échanges en tout genre. Par contre la puissance publique, elle, est, dans un Etat laïque, neutre et traite toutes les options philosophiques ou spirituelles de la même façon. C’est donc bien l’entité étatique qui doit être neutre et non les individus privés.

++ Sur les différentes réactions à cette PPL, je pense que si la CNCDH a parlé de risque de violation de la JP BabyLoup de l’AP de la Cour de cassation de juin 2014 c’est parce que cet arrêt a alors été présenté comme un arrêt d’espèce, insusceptible de généralisation. Et c’est au demeurant ce que vous semblez penser puisque vous préconisez que la solution alors énoncée par le juge soit élevée au rang de loi. Cette mention de l’arrêt de juin 2014 peut être maladroite, celle de la Convention européenne des droits de l’homme est, elle, plus compréhensible. Rappelons en la disposition pertinente :
--- Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion —
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.



++ Aussi je ne comprends pas pourquoi vous évoquez l’arrêt SAS c/ France de juillet 2014 puisque cet arrêt n’était pas relatif au « voile simple » ou foulard islamique mais à la dissimulation intégrale du visage, c’est-à-dire au niqab.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la Cour a, dans ce même arrêt, tout en avalisant (1) le dispositif issu de la loi de 2010, fait remarquer à quel point le contexte d’élaboration de ladite loi a été marquée par un déversement de préjugés et de défiance à l’égard de certains pans de la société conduisant paradoxalement à un affaiblissement du « vivre-ensemble », notion-même qui a justifié l’interdiction ainsi posée…
(1) en pouvait-il être autrement sur un sujet aussi sensible dans le contexte d’une CEDH qui veiller très opportunément à faire preuve de retenue lorsque cela s’avère nécessaire ?
Bien respectueusement,




Selim Degirmenci

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