mercredi 17 juin 2015

A propos des velléités d'interdiction du voile à l'Université

AVERTISSEMENT: commentaire laissé sous l'article "Le port de signes religieux à l'Université : retour à l'analyse juridique" du professeur Letteron, ainsi que sur seenthis.net


Cher professeur,
En tant que lecteur assidu et friand de votre blog, j’ai souhaité prendre le temps de vous livrer quelques réflexions sur le billet ci-dessus que je vous livre dans l’ordre du texte.
*Vous parlez de « courage » concernant les déclarations de P. Boistard, je parlerai davantage d’ « audace » du point de vue des risques de restriction sur les libertés publiques que fait peser un tel projet d’interdiction. Pourquoi pas « courage » ? Car l’observation de la dernière décennie suffit à illustrer à quel point certains signes religieux - et en particulier un (le foulard islamique) - sont déclarés signes non grata dans différents espaces d’interaction sociale.

*Sur le HCI, beaucoup de choses pourrait être dite : je me contenterai de vous soumettre ce texte du professeur Lochak sur les errements de cette autorité de conseil : http://www.gisti.org/spip.php?article2540
*Sur la légitimité du HCI à se prononcer jusqu’en 2012-2013 sur les questions de laïcité et le traitement couplé « laïcité » et « immigration » qui a été ainsi promu : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/26/mettons-en-avant-les-libertes-laiques_1635079_3232.html
*Sur la position de J-L Salzmann, vous le savez déjà la CPU tient la même ligne de conduite (la liberté est la règle pour les étudiants-usagers du service public universitaire) depuis l’édiction de son guide laïcité au début des années 2000. Et J-L Salzmann ne fait que réaffirmer haut et fort ces mêmes principes en ne voulant pas succomber à un certain air du temps qui se veut de plus en plus prohibitif et discriminant.
Concernant l’affaire de l’IUT de St-Denis, les faits semblent plus complexes et sont d’ailleurs très propices à toutes sortes d’instrumentalisation. Tout le monde en a parlé mais personne ne connait le contenu exact et définitif du rapport de l’ IGEN. Concernant les menaces à l’endroit du directeur de l’IUT en question, pourquoi devraient-elles justifier des restrictions concernant l’exercice par des étudiantes de leur liberté de conscience ? Si menace il y a, le droit pénal est là à cette fin et c’est d’ailleurs, sauf erreur, le président Salzmann notamment qui a déposé plainte contre les agissements délictuels en question.

*Sur la reconstruction idéologique de la loi de 1905, je pense que celle-ci n’est pas dans le sens que vous pensez être… L’étude de cette loi qui est sans cesse invoquée mais que très rarement connue montre à quel point elle a visé la pacification de la société à travers le respect de la liberté de conscience (comprenant la liberté de religion ou d’autres options philosophiques ou spirituelles) et de l’égalité de traitement des citoyens. Pour arriver à ces 2 finalités, elle a eu recours aux principes de neutralité de la puissance publique et de séparation des Eglises et de l’Etat. La laïcité « faite loi » (Schrameck) à cette occasion est ainsi le résultat d’exigence tenant au pragmatisme et au libéralisme de grands hommes de loi à l’instar d’un Briand, d’un Jaurès ou encore d’un Pressensé. Je l’évoque rapidement ici : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1299302-.html
*Sur le fait que le port du voile ou du foulard islamique est systématiquement réduit à un signe d’oppression et d’inégalité, je vous invite à lire les quelques lignes que j’ai pu écrire à ce sujet

Il n’est pas question d’occulter le fait que le foulard peut être imposée par coercition, mais faire de cette possibilité la seule clé de compréhension du port de ce vêtement par des femmes est une approche on ne peut plus réductrice et marquée de préjugés.

*Je crois que la réduction de la liberté de conscience que vous faites aux seules « opinion » ou « croyance » est fortement contestable et ne correspond pas au droit positif tant national qu’international. En effet, la liberté de conscience comprend également la possibilité d’un exercice public des convictions sous réserve du respect de l’ordre public… Les exemples en sont pléthore ( les processions et les sonneries n’ont ainsi pas été interdites par la loi de 1905 mais réglementées, comme vous le relevez d’ailleurs). C’est un dévoiement de la laïcité qui a été opéré ces dernières années que de vouloir restreindre la manifestation de convictions religieuses à la paisible intimité des chaumières.
*Sur la possibilité d’une interdiction à travers le règlement intérieur de l’Université de tous signes religieux, vous le savez, autonomie ou non, c’est un choix qui revient au législateur et uniquement à lui s’agissant de l’exercice de libertés fondamentales aux termes de l’article 34 de la Constitution.
*Enfin, pourquoi voir dans une mesure d’interdiction générale du voile une mesure de « courage » pour le Parlement ? Cette volonté n’est-elle pas au contraire le signe d’une défiance, d’une incertitude sur notre volonté ou notre capacité de vivre-ensemble ? Quel est le message qui est ainsi envoyé à des pans entiers de la société qui se sentent déjà assez discriminés (faciès, adresse, origine, couleur, religion) et notamment à des femmes qui viennent justement à l’Université pour se construire un avenir autonome ?
A cet égard, je me permets de relater ces quelques lignes rédigées par un avocat, Nicolas Gardères, dans une tribune au Monde paru il y a quelques jours à ce sujet :

« Je ne pense pas, en effet, que les jeunes femmes voilées sous contrainte patriarcale soient nombreuses à faire des études supérieures. Le droit d’aller à l’université, lieu de risque libertaire et de diffusion d’un savoir profane, paraît largement antithétique avec ce schéma. Or, c’est précisément parce que l’université est un lieu d’exercice extrêmement large, le plus large possible, des libertés individuelles que l’interdiction du port du voile y serait profondément scandaleuse » .
Respectueusement,
Selim Degirmenci

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